Dans un contexte économique où les coûts augmentent, où la visibilité se réduit et où la trésorerie se fragilise pour de nombreuses entreprises, un phénomène revient régulièrement dans les échanges que j’ai avec les dirigeantes : parler d’argent devient plus difficile. Elles disent souvent « c’est compliqué », non pas parce qu’elles manquent de compétences financières, mais parce que la période actuelle agit comme un révélateur de mécanismes intérieurs qui influencent profondément leur manière de piloter leur activité.
L’argent n’est pas qu’une donnée comptable : c’est un rapport intime, façonné par l’histoire, la culture et les modèles reçus. Et pour de nombreuses dirigeantes, cette dimension prend une importance particulière aujourd’hui.
Pourquoi les dirigeantes ont un rapport à l’argent différent
Ce n’est pas une question de fragilité ou d’infériorité. C’est le résultat d’un double héritage : culturel et structurel.
Pendant longtemps, les femmes ont été socialisées à la prudence, au fait de “bien faire”, à la loyauté envers le collectif. Elles ont été encouragées à être responsables, fiables, raisonnables — mais rarement à se projeter financièrement, à parler d’argent avec assurance ou à revendiquer l’ambition économique de leur entreprise. Dans le même temps, les environnements économiques restent largement construits sur des codes masculins où la performance financière est centrale, discutée publiquement, valorisée.
Ces deux dynamiques créent un décalage silencieux : les dirigeantes entreprennent, innovent, portent des projets ambitieux… tout en entretenant souvent une relation à l’argent plus émotionnelle et plus chargée d’enjeux identitaires que leurs homologues masculins. Ce décalage influence directement leur capacité à fixer leurs prix, à investir, à négocier ou à structurer un modèle économique réellement solide.
La conjoncture amplifie ces mécanismes
Lorsque les marchés se contractent, que la demande devient erratique et que la pression sur la trésorerie augmente, la relation à l’argent devient un prisme déterminant. Ce qui, en période plus stable, passait inaperçu — une hésitation à augmenter un tarif, un stress accentué à aller « vendre », une prudence excessive sur un investissement pourtant stratégique, une tendance à accepter trop de sur-mesure pour rassurer la clientèle — devient soudain visible et impactant.
Certaines dirigeantes compensent par davantage d’efforts, en travaillant plus pour maintenir l’équilibre, au lieu de revoir la structure de leur modèle économique ou leur posture financière. Elles déploient une énergie considérable pour “tenir”, alors que l’enjeu ne se situe pas dans l’effort supplémentaire, mais dans la clarté des décisions.
Dans un environnement instable, la relation à l’argent devient donc un facteur de solidité ou de fragilisation. Elle peut soutenir le pilotage… ou l’alourdir.
Un sujet de leadership, avant d’être un sujet financier
Apaiser sa relation à l’argent n’a rien d’un travail personnel déconnecté du business. C’est, au contraire, un travail de leadership.
Comprendre ce qui influence nos décisions financières — croyances héritées, peur de décevoir, volonté de prouver, besoin de sécurité, loyautés familiales — permet de reprendre la main sur sa stratégie. Les dirigeantes qui travaillent cette dimension prennent des décisions plus ajustées : elles définissent des modèles économiques plus soutenables, osent structurer leur entreprise pour qu’elle ne dépende pas uniquement d’elles et construisent une vision plus stable sur le long terme.
La relation à l’argent n’est pas un obstacle : c’est un levier. Plus elle est apaisée, plus la dirigeante gagne en discernement, en assurance et en capacité d’anticipation — des qualités particulièrement précieuses dans une période où tout semble bouger très vite.
Un enjeu pour la pérennité des modèles économiques
Dans l’incertitude actuelle, les entreprises qui s’en sortent le mieux ne sont pas celles qui travaillent davantage, mais celles qui sont plus claires : claires dans leurs choix, dans leur modèle, dans leur rapport au risque, dans leur connexion avec leur marché et dans la valeur qu’elles assument.
Pour les dirigeantes, cela implique souvent de revisiter des questions fondamentales : Quel modèle économique est réellement aligné avec moi?
Est-ce que mes offres répondent aux besoins actuels de mon marché ?
Quelle sont les démarches commerciales qui me correspondent à mes valeurs ?
Quels prix reflètent vraiment ma valeur et mes coûts ? Quels investissements sont nécessaires pour stabiliser ou développer mon activité ? Et, surtout : qu’est-ce qui, dans ma relation à l’argent, influence ma manière d’y répondre ?
Lorsque ces questions trouvent des réponses lucides, l’entreprise gagne en cohérence. Elle devient moins dépendante des fluctuations extérieures et plus forte face à la conjoncture.
Remettre l’argent à sa place pour mieux diriger
Dans cette période de fragilité économique, travailler sa relation à l’argent n’est ni un luxe ni un supplément d’âme : c’est une compétence stratégique. C’est ce qui permet aux dirigeantes de décider avec lucidité, de structurer un modèle pérenne, de protéger leur trésorerie et d’éviter l’épuisement.
L’argent n’a pas à être “compliqué”. Il peut devenir un outil clair, soutenant, puissant, à condition de le regarder autrement. Et lorsque les dirigeantes le réinvestissent pleinement, elles gagnent en stabilité, en leadership et en capacité à traverser l’incertitude avec plus de sérénité.
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