Briser le plafond de verre : Laura Cornil de FOX Food Market, “Il ne faut rien lâcher"

17 novembre 2025 par
Pol Lecointe

Le plafond de verre appliqué à la notion de genre désigne la limite invisible qui empêche une personne issue d’une minorité de progresser dans la hiérarchie d’une entreprise, simplement en raison de son identité. En tant que COO de deux structures (et bientôt trois), Laura Cornil a en quelque sorte brisé ce plafond. Mais, à l’image de la Belgique, le chemin vers la parité parfaite est encore long.

COO, Laura Cornil l’a été (et l’est toujours) à plusieurs reprises. D’abord au sein du WOLF Food Market, avant de reprendre son petit frère le FOX en 2023. Elle récupérera également la casquette de COO pour le prochain bébé de la famille : le RATS, qui ouvrira au début de l’année prochaine dans le quartier ixellois de Saint-Boniface. Ajoutez encore à son CV le poste de COO du Kawa Club, le café de la Galerie Bortier. “Mon travail consiste à passer de département en département, aider là où je peux aider et contrôler le travail des équipes”, résume la directrice aux multiples casquettes. En somme, des postes à hautes responsabilités. Si Laura Cornil en a la charge, ce n’est pas sans avoir dû se battre contre un phénomène qui empêche les femmes de progresser jusqu’en haut de la hiérarchie : celui du plafond de verre. 

Un plafond en appelle un autre 

En 2011, la Belgique a adopté une loi imposant aux entreprises cotées en bourse un quota d’un tiers de femmes dans leur conseil d’administration. De 8,1% de femmes en 2008 au sein de ces conseils, le chiffre a quadruplé pour atteindre, en 2024, 37,3%. Une progression significative mais le chemin reste encore long. Par ailleurs, accéder à ces organes n’exclut pas les femmes d’être toujours confrontées au plafond de verre. Toujours en 2024, seules 8,9% des entreprises cotées en bourse avaient une femme à la tête de leur conseil d’administration en Belgique. À noter tout de même : la même année, la Belgique s’est hissée à la cinquième place de l’indice européen d’égalité des genres. Le progrès s’avère toutefois lent. Depuis 2021, notre pays n’a amélioré son score que de 0,1 point. 

Les inégalités de genre ne s’observent de toute façon pas qu’en statistique. Laura Cornil le constate chaque jour : “D’un point de vue personnel, même si je pense que beaucoup de femmes partagent ce sentiment, mon plafond de verre prend la forme d’un syndrome de l’imposteur. On a toujours l’impression de jouer un rôle. Quand je fais cette interview, j’ai l’impression de me prendre pour une autre, je me dis que je ne gère pas le Fonds monétaire international”.

Rien n’est gagné. Il faut se battre tous les jours - Laura Cornil

Et pourtant, le parcours de cette COO n’a rien à envier à ses homologues. Originaire du Brabant Wallon, Laura Cornil a grandi “dans une communauté privilégiée, très bienveillante”. Après un bachelier en gestion hôtelière sur le campus du CERIA, à Anderlecht, elle participe à un concours de jeunes entrepreneur·es. Elle y remporte le titre dans son école, au niveau national et défend même son projet à l’international. “C’est là que j’ai compris que j’avais cette capacité à gérer des équipes. Je comprenais rapidement quelle direction il fallait prendre, quel rythme il fallait donner aux autres”. Propulsée quelques années plus tard au poste de manager au sein de la maison mère des restaurants Ellis Gourmet Burger, elle rencontre deux entrepreneurs bruxellois : Thierry Goor et Pascal Van Hamme, fondateurs du WOLF. “Mon job actuel est parti de là, de ce trio qui a très bien fonctionné”. 

Assumer le poste de COO implique de l’autorité. “Il faut savoir prendre des décisions parfois dures. On doit entretenir des rapports amicaux, tout en étant ferme”. Un tempérament qui ne résonne pas de la même manière selon les genres. “Je ne veux pas stigmatiser, mais on dit souvent d’un homme autoritaire qu’il est d’une grande valeur. Pour une femme, on dira qu’elle est plutôt hystérique, c’est moins bien vu”, constate la COO. “J’ai une personnalité assez forte. Je travaille avec mes émotions et j’en suis fière. Cela me permet d’avoir beaucoup d’amour pour mon métier et de le faire de manière complètement entière. On me juge parfois autoritaire pour cela. Il faut faire face aux remarques, mais ce n’est pas toujours facile”. 

Autre point qu’il a fallu gérer : la gestion du temps professionnel et privé. “J’ai deux enfants. Je ne veux pas laisser leur éducation de côté. Mon mari aussi évidemment, mais je pense que cela touche moins les hommes”. Cette double gestion est un frein de plus lorsqu’on souhaite évoluer dans un monde du travail principalement pensé pour les hommes. “Lorsque j’étais chez Ellis Gourmet Burger, c’était tout à fait strict”, se souvient Laura Cornil. “J’étais plus jeune, j’avais moins de raisons d’être à la maison. Je travaillais parfois 17 jours d’affilée. Ce n’était sans doute pas très légal, mais c’est le métier qui veut ça, je ne m’en plaignais pas”. Depuis son arrivée au sein des Food Market, elle est plus libre. “Thierry Goor, mon supérieur hiérarchique direct, me fait confiance. J’organise mon temps comme je l’entends. Je dois rendre des comptes, mais c’est le résultat qui importe”. Une organisation qui n’empêche pas la COO d’accomplir une grande charge de travail. “C’est très important pour moi de faire la sortie d’école de mes enfants. Je suis donc rarement disponible de 17h à 19h. Par contre, je suis la première à revenir si nécessaire, et je travaille beaucoup le soir pour compléter mes heures”. La lutte pour l’égalité homme-femme progresse, la représentation des femmes dans les entreprises aussi. “Quand je suis arrivée au WOLF, j’étais la seule. Aujourd’hui, au FOX, il n’y a plus que des femmes. Je grossis évidemment le trait, mais des femmes en opération, il y en a”, assure Laura Cornil. 

A l’instar de la Belgique qui n’a grappillé qu’un modeste 0,1 point en quatre ans, le chemin vers la parité parfaite reste encore long. “Rien n’est gagné. On pense vivre dans une société où beaucoup de choses sont acquises, mais ce n’est pas vrai. Il faut se battre tous les jours”. Se battre pour des avancées légales, certainement. D’un point de vue plus personnel, la COO se bat également contre son plafond de verre : “Il faut serrer chaque vis, chaque coin de meuble et ne rien lâcher. Il faut aussi s’autocontrôler. Dans mon équipe, quand on réussit quelque chose, on prend son win. On a le droit de garder ses petites victoires et cela fait du bien. Prenez vos win”.

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